Gueules Cassées
Pendant la Grande Guerre, près d’un million et demi de Poilus meurent dans les lignes françaises, trois millions en reviennent invalides, dont trois cent mille mutilés et quinze mille « blessés de la face ».
La horde des amochés qui, refusant le trop pudique « blessés de la face » dont on voudrait qu’elle se contente, finit par imposer l’expression « gueule cassée » qu’elle lui préfère, en pesant de toute sa hideur sur le collectif.
Chaque visage ne peut plus rien exprimer d’autre : yeux crevés, mâchoire arrachée, nez coupé, front sans rides car devenu simple crevasse, autant faire dire à ces faces labourées ce pour quoi elles peuvent encore témoigner : l’horreur de ces combats inaugurant le XXème siècle en signifiant avec aplomb – quelles que soient les idéologies – l’asservissement de la technique aux solutions finales. Le gaz dissout, l’obus arrache, crible le sol, disloque les os que le lance-flamme achève de fondre et de carboniser. La forme humaine se désintègre, se transforme, les têtes d’hommes virent à la gargouille.
Défigurés à l’image des blessés de la face de la Grande Guerre atteints dans leur chair et leur identité, le travail de René Apallec, qui se présentait comme un « chirurgien-plasticien (sur le papier) » a pour point de départ des portraits officiels de généraux et maréchaux publiés dans la revue L’Illustration.
Riche de plusieurs centaines de collages (400, 500, peut-être davantage) organisés en séries, son œuvre aborde différents domaines et champs d’expression dont le cinéma, la poésie, la mythologie, la politique et la guerre.
L’ensemble dit des « Gueules cassées », exprime une vision du conflit nourrie semble-t-il de l’expérience du combat et de ses ravages sur les corps.