Gueule cassée n°191
Gueule cassée n°191
Alors commencent les opérations et les greffes, suite graduée de supplices où interviennent prothésistes, mécanothérapeutes et autres chirurgiens maxillo-faciaux mais l’essentiel pour ces blessés, véritables cobayes humains, reste le regard du médecin, épié à chaque visite – ni pitié, ni complicité. Il faut un regard froid, le seul qui rassure, prédit le futur, donne de l’espoir. L’infirmière, elle, a pour mission de faire disparaître les miroirs, c’est dans ses yeux seulement que le blessé doit pouvoir reconnaître qu’il garde sa place au sein des vivants puisque, même au moment des soins, on le regarde comme un homme. L’infirmière est la première épreuve de la reconnaissance sociale, celle qui transforme l’être-là du patient en être pour les autres, qui lui rend sa conscience. Qu’elles ne cèdent ni à la répulsion, ni à la pitié, qu’elles soient seulement présentes. À la Maison des gueules cassées, nombre de blessés de 14-18 épouseront leur infirmière. Quoi de plus normal ? Elles leur ont rendu leur présence au monde, elles ont fait cesser l’isolement de la victime dans la solitude de l’horreur.